Page:Rolland Clerambault.djvu/234

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inventé de mettre Dieu derrière la toile de leur baraque. Dieu, c’est la République, la Patrie, la Justice, la Civilisation. Elles sont peintes à l’entrée. Chaque baraque de foire étale, en affiches multicolores, sa belle Géante. Et ils sont des millions qui se ruent pour la voir. Mais on ne dit pas ce qu’en pensent ceux qui sortent. Ils seraient bien embarrassés pour en penser quelque chose ! Les uns ne sortent plus, et les autres n’ont rien vu. Mais ceux qui sont restés devant l’estrade, à bayer, ceux-là voient. Dieu est là. Il est là, en peinture. — Les dieux, c’est le désir que chacun a d’y croire.

« Mais pourquoi la flambée furieuse de ce désir ? — Parce qu’on ne veut pas voir la réalité. — Et donc, parce qu’on la voit. — C’est là tout le tragique de l’humanité qu’elle ne veut pas voir et savoir. Il lui faut, désespérément, diviniser sa fange. — Nous, osons la regarder !

« L’instinct de meurtre est inscrit au cœur de la nature. Instinct vraiment diabolique, puisqu’il semble avoir créé les êtres, non seulement pour manger, mais pour être mangés. Une espèce de cormorans mange les poissons de mer. Les pêcheurs exterminent les oiseaux. Les poissons disparaissent, car ils se nourrissaient des excréments des oiseaux, qui se nourrissaient d’eux. Ainsi, la chaîne des êtres est un serpent enroulé, qui se mange… Si du moins la conscience n’avait pas été créée, pour assister à son propre supplice ! Échapper à cet enfer… Deux seules voies : celle du Bouddha, qui efface en lui l’Illusion