Page:Rolland Clerambault.djvu/241

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question les problèmes qui avaient causé la mort de Mairet et celle de millions d’autres. Dans cet âpre examen, rien n’arrêtait Clerambault. Et elle n’était pas femme à reculer, dans la recherche de la vérité. — Et pourtant

Clerambault s’aperçut bientôt d’un malaise, que ses paroles causaient en elle, tandis qu’il disait tout haut ce qu’elle savait bien, ce que constataient clairement les lettres de Mairet : la criminelle inutilité de ces morts et l’infécondité de cet héroïsme. Elle essaya de reprendre ce qu’elle avait confié ; elle en discutait le sens, avec une passion qui ne semblait pas toujours de très bonne foi ; elle retrouva dans son souvenir des paroles de Mairet, qui le montraient plus près de l’opinion commune et paraissant l’approuver. Un jour, Clerambault, l’écoutant relire une lettre, que déjà elle lui avait lue, remarqua qu’elle en passait une phrase, où s’exprimait le pessimisme héroïque de Mairet. Et comme il insistait, elle parut froissée ; ses manières se firent plus distantes ; sa gêne, progressivement, se mua en froideur, puis en irritation, puis même en une sorte d’animosité sourde. Elle finit par l’éviter ; et, sans rupture avouée, il sentit qu’elle lui en voulait et qu’elle ne le verrait plus.

C’est qu’à mesure que se poursuivait l’impitoyable analyse de Clerambault, qui ruinait les fondements des croyances actuelles, il se faisait chez Mme  Mairet un travail inverse de reconstruction et d’idéalisation. Son deuil avait besoin de se convaincre qu’il avait, malgré tout, une cause sainte. Le mort n’était plus là, pour