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Page:Rolland Clerambault.djvu/242

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l’aider à porter la vérité. La vérité la plus redoutable, — à deux, — est encore une joie. Mais, à qui reste seul, elle est mortelle.

Clerambault le comprit. Sa sensibilité frémissante perçut qu’il faisait souffrir ; et la peine de cette femme lui devint sienne. Et il ne fut pas loin d’approuver sa révolte contre lui. Il vit l’immense douleur cachée et l’inefficacité de la vérité qu’il apportait pour y remédier. Bien plus ! Le mal qu’elle ajoute au mal qui existe déjà…

Insoluble problème ! Ces infortunés ne peuvent se passer des illusions meurtrières, dont ils sont les victimes ! On ne peut plus les y arracher, sans que leurs souffrances deviennent intolérables. Ces familles qui ont perdu des fils, des maris, des pères, ont besoin de croire que c’est pour une œuvre juste et vraie. Ces hommes d’État, qui mentent, sont forcés de continuer à mentir, aux autres et à soi. S’ils cessaient un instant, la vie ne leur serait plus supportable, ni à ceux dont ils ont la charge. Malheureux homme, la proie de ses idées, et qui leur a tout donné, il faut qu’il leur donne chaque jour davantage, ou qu’il trouve sous ses pas le vide, et qu’il tombe… Quoi ! après quatre ans de peines et de ruines sans nom, il nous faudrait admettre que ç’a été pour rien, — que non seulement la victoire sera ruineuse, mais qu’elle ne pouvait être autrement, que la guerre était absurde, que nous nous sommes trompés !… Jamais ! Mieux vaut mourir jusqu’au dernier. Un homme seul, qu’on force à reconnaître que sa vie a été perdue, sombre dans le désespoir. Que serait-