Page:Rolland Clerambault.djvu/249

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avait jugé l’heure l’occasion venues, — (il y a temps pour tout) — avec un honorable commerçant qui faisait de bonnes affaires, à la tête d’un magasin de meubles d’art et de piété, rue Bonaparte. Elle se trouvait enceinte, quand son mari fut envoyé au front. On n’en pouvait douter, elle fut ardente patriote : qui s’aime bien, aime les siens ; et ce n’est pas chez elle que Clerambault eût cherché quelque compréhension pour ses idées de pitié fraternelle. Elle en avait peu pour les amis. Elle n’en avait aucune pour les ennemis. Elle les eût bien pilés dans un mortier, avec la même joie froide qu’elle mettait jadis à torturer des cœurs ou des insectes, pour se venger des ennuis que d’autres lui avaient causés.

Mais à mesure que mûrissait le fruit qu’elle portait, voici que son attention se concentrait sur lui ; les forces de son cœur refluaient à l’intérieur. La guerre s’éloignait ; elle n’entendait plus le canon de Noyon. Lorsqu’elle en parlait, — un peu moins, chaque jour, — il semblait qu’il s’agit d’expéditions coloniales. Des dangers de son mari, sans doute, elle se souvenait ; certes, elle le plaignait : — « Pauvre garçon ! » — avec un petit sourire apitoyé qui avait l’air de dire : « Il n’a vraiment pas de chance ! Il n’est pas très adroit !… » Mais elle ne s’attardait pas sur ce sujet, et il ne laissait pas de traces, grâce à Dieu ! La conscience était en repos, elle avait payé son écot. Et vite, elle retournait à la seule tâche sérieuse. On eût dit que la grande affaire pour l’univers, c’était l’œuf qu’elle allait pondre.