Page:Rolland Clerambault.djvu/294

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lieu que Clerambault, qui avait surmonté la crise, ne reconnaissait le danger que dans le dérèglement de l’esprit et non dans son essence, Moreau s’affolait à l’idée que le poison était constitutif de l’intelligence. Son imagination exaspérée ne savait qu’inventer, afin de le torturer ; elle lui montrait la pensée comme une maladie, qui marque l’espèce humaine de sa tare indélébile. Il se représentait d’avance les cataclysmes où elle menait : déjà, n’assistait-on pas au spectacle de la raison titubant d’orgueil devant les forces que la science lui livrait, ces démons de la nature que lui asservissaient les formules magiques conquises par la chimie, et, dans l’égarement de cette puissance trop soudaine, la tournant au suicide !

Et cependant, la jeunesse de Moreau se refusait à rester sous le poids de ces terreurs. Agir à tout prix, pour ne pas rester seul avec elles ! Ne nous empêchez pas d’agir ! Excitez-nous plutôt !

— Mon ami, dit Clerambault, on ne doit pousser les autres à l’action dangereuse que si l’on agit soi-même. Je ne puis souffrir les excitateurs, même sincères, qui poussent les autres au martyre, sans donner l’exemple. Il n’est qu’un seul type de révolutionnaire vraiment sacré : c’est le Crucifié. Mais très peu d’hommes sont faits pour l’auréole de la croix. Le mal est qu’on s’assigne toujours des devoirs surhumains, inhumains. Il est malsain pour le commun des hommes de s’évertuer à l’Übermenschheit, et ce ne peut être pour eux qu’une source de souffrance inutile. Mais chaque homme peut aspirer à rayonner dans