Page:Rolland Clerambault.djvu/317

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qui donc eût pu dire exactement dans quelle intention ? Le savait-il lui-même ? Il y a toujours eu dans les marécages des grandes villes des aventuriers sans scrupules, fiévreusement désœuvrés, qui vont cherchant partout, comme les loups, « quem devorent ». Ils ont d’énormes appétits et une curiosité de même. Pour remplir ce tonneau sans fond, tout leur est bon. Ils peuvent faire le blanc, ils peuvent faire le noir, il ne leur en coûte pas plus. Ils sont aussi bien prêts à vous jeter à l’eau qu’à s’y flanquer pour vous sauver : ils ne craignent pas pour leur peau ; mais il faut nourrir l’animal qui est dedans, — et aussi, l’amuser. — S’il cessait un moment de grimacer et de bâfrer, il périrait d’ennui et de dégoût de son néant. Mais il n’y a point de risques ; il est trop intelligent ! Il ne s’arrêtera point pour penser, qu’il ne crève de sa belle mort, et debout, comme l’empereur romain.

Nul n’aurait donc pu dire ce que Thouron voulait au juste, lorsqu’il vint pour la première fois chez Clerambault. Il était comme toujours affairé, affamé, sans but, flairant un os. Il était de ceux très rares dans la profession (ce sont les grands journalistes), qui, sans se donner la peine de lire ce dont ils parlent, peuvent s’en faire hâtivement une idée vive, brillante, qui souvent, par prodige, se trouve même assez juste. Il récita sans trop d’erreurs à Clerambault son « Évangile », et il semblait y croire. Il y croyait peut-être, pendant qu’il le disait. Pourquoi pas ? Il était aussi pacifiste, à ses heures : cela dépendait du vent et de l’attitude de certains confrères, dont il prenait la suite, ou bien le con-