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Page:Rolland Clerambault.djvu/337

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intelligence avait fécondé la sienne, elle n’avait eu dans sa vie que ces deux profondes affections, bien différentes entre elles : presque filiale pour le mari, presque amoureuse pour le fils.

Le docteur Froment, homme instruit, d’esprit original, qu’il dissimulait sous des formes d’une douce politesse attentive à ne pas blesser les autres en se distinguant d’eux, avait été grand voyageur, pendant une partie de sa vie ; il avait visité à peu près toute l’Europe, l’Égypte, la Perse et l’Inde ; curieux non seulement de science, mais de religion, il s’intéressait particulièrement aux expressions nouvelles de la foi dans le monde : Bâbisme, Christian Science, doctrines théosophiques. En relations avec le mouvement pacifiste, ami de la baronne de Suttner, qu’il avait connue à Vienne, il voyait venir depuis longtemps la grande catastrophe, à laquelle l’Europe et ceux qu’il aimait étaient promis. Mais homme de courage, habitué à regarder les injustices de la nature, il avait cherché moins à se faire illusion ou à leurrer les siens sur l’avenir, qu’à leur faire l’âme forte pour supporter l’assaut de la vague qui accourait. Bien plus que ses paroles, son exemple avait eu sur sa femme — sinon sur le fils encore enfant, à l’époque de sa mort, — une vertu sacrée. Atteint du mal lent et cruel qui devait l’enlever, — un cancer de l’intestin, — il avait, jusqu’au dernier jour, poursuivi tranquillement sa tâche accoutumée, entourant ses aimés de sa sérénité.

Mme Froment avait conservé dans son cœur cette noble image, comme un dieu intérieur. La piété pour