Page:Rolland Clerambault.djvu/376

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tendre. Et Clerambault avoua qu’il y avait songé.

Les nouvelles du front étaient bonnes. Depuis peu, l’offensive allemande paraissait arrêtée, et d’étranges symptômes de fléchissement se faisaient sentir ; des bruits, qui semblaient fondés, laissaient supposer dans cette masse formidable un travail secret de désorganisation. Elle avait, disait-on, atteint la limite de ses forces, et elle l’avait dépassée. L’athlète était fourbu. On parlait de contagion de l’esprit révolutionnaire, rapportée de Russie par les troupes allemandes du front oriental.

Avec la mobilité coutumière de l’esprit français, les pessimistes d’hier criaient la victoire prochaine. Moreau et Gillot escomptaient l’apaisement des passions et, dans un bref délai, le retour au bon sens, la réconciliation des peuples, le triomphe des idées de Clerambault. Clerambault les engagea à ne pas se faire trop d’illusions. Et il s’amusa à leur décrire ce qui se passerait, quand la paix serait signée : (car il fallait bien qu’elle le fût, un jour !).

— Il me semble, dit-il, que je vois, en planant sur la ville, comme le Diable boiteux, la nuit, la première nuit qui suivra l’armistice. Je vois, dans les maisons dont les volets sont clos aux cris de joie de la rue, les innombrables cœurs en deuil ; tendus pendant des années dans la dure pensée d’une victoire qui donne à leur misère un sens, un faux semblant de sens, maintenant, ils vont pouvoir se détendre, ou se briser, dormir, mourir enfin ! Les politiciens songeront à la façon la plus preste et la plus lucrative