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Page:Rolland Clerambault.djvu/378

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habillez-les en vert, ils foutront le camp tout de même ! » Vous dites paix, vous dites guerre : il n’y a ni paix ni guerre, il y a servitude universelle, mouvements de multitudes entravées, comme un flux et un reflux. Et il en sera ainsi, tant que de fortes âmes ne s’élèveront pas au-dessus de l’océan humain et n’oseront pas la lutte, qui paraît insensée, contre la fatalité qui remue ces lourdes masses.

— Lutter contre la Nature ? dit Coulanges. Vous voulez forcer ses lois ?

— Il n’y a pas, dit Clerambault, une seule loi immuable. Les lois, comme les êtres, vivent, changent et meurent. Et le devoir de l’esprit, bien loin de les accepter, comme disaient les stoïciens, est de les modifier, de les recouper à sa mesure. Les lois sont la forme de l’âme. Si l’âme grandit, qu’elles grandissent avec elle ! Il n’est de juste loi que celle qui est juste à ma taille… Ai-je tort de vouloir que le soulier soit fait pour le pied, et non le pied pour le soulier ?

— Je ne dis pas que vous ayez tort, reprit le comte. Vouloir forcer la nature, nous le faisons en élevage. Même la forme et l’instinct des bêtes peuvent être modifiés. Pourquoi pas la bête humaine ?… Non, je ne vous blâme point. Je soutiens au contraire que le but et le devoir de tout homme digne de ce nom est justement, comme vous dites, de forcer la nature humaine. C’est la source du vrai progrès. Même tenter l’impossible a une valeur concrète. — Mais cela ne veut point dire que ce que nous tentons, nous le réussirons.