Page:Rolland Clerambault.djvu/99

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Caïns, qu’en avez-vous fait ? Je leur tends les bras : un fleuve de sang m’en sépare ; dans ma propre nation, je ne suis plus qu’un instrument anonyme, qui doit assassiner Ma Patrie ! Mais c’est vous qui la tuez !… Ma patrie était la grande communauté des hommes. Vous l’avez saccagée. La pensée ni la liberté n’ont plus de toit en Europe Je dois refaire ma maison, votre maison à tous. Car vous n’en avez plus : la vôtre est un cachot… Comment ferai-je ? Où chercher ? Où m’abriter ?… Ils m’ont tout pris ! Il n’est plus un pouce de la terre ni de l’esprit, qui soit libre ; tous les sanctuaires de l’âme, l’art, la science, la religion, ils ont tout violé, ils ont tout asservi ! Je suis seul et perdu, je n’ai plus rien, je tombe !


Quand il eut tout arraché, il ne lui restait plus que son âme nue. Toute cette fin de nuit, elle se tint grelottante et transie. Mais en cette âme qui frissonnait, en cet être minuscule perdu dans l’univers comme un de ces είδωλὰ que les peintres primitifs représentaient sortant de la bouche des mourants, une étincelle couvait. Dès l’aube, commença de s’éveiller la flamme imperceptible, que la lourde enveloppe des mensonges étouffait. Au souffle de l’air libre, elle se ralluma. Et rien ne pouvait plus l’empêcher de grandir.