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LE RÉPERTOIRE ÉTRANGER

le désespoir semblent plutôt faits pour réveiller la conscience des riches, que pour soutenir ou distraire de pauvres gens, déjà trop accablés par la vie. Tout au plus s’adressent-ils à une poignée d’entre eux, à l’élite révolutionnaire, aux chefs de la future révolte ; mais il serait presque absurde de penser que ces spectacles de deuil écrasant pussent rester au répertoire d’un peuple sorti de l’esclavage. Ce sont des cauchemars qu’on doit souhaiter qu’il rejette de lui, le plus tôt possible, avec horreur. — Quant à Anzengruber[1] il semble qu’il ait eu conscience du théâtre populaire, et qu’il en ait donné quelques types assez heureux. Une partie de ses œuvres serait même d’actualité en France, par leur constante protestation contre l’esprit clérical ; mais elles sont, dans l’ensemble, trop fidèlement adaptées au goût de la petite bourgeoisie viennoise ; et Anzengruber manquait du génie nécessaire pour dégager des observations locales le caractère universel. Il nous est du moins un exemple intéressant d’un théâtre moyen, parlant au peuple sans flatterie et sans dédain, et lui présentant avec clarté le spectacle de sa propre vie.

Enfin se présente à nous, au terme du siècle qui vient de finir, le nom grandiose du tout-puissant Wagner. Cet homme qui fut le plus souverain créateur en musique, depuis Beethoven, l’a été aussi peut-être dans le drame poétique, depuis Schiller et Goethe. Il a tracé d’impérissables figures ; il a créé des héros populaires, familiers et surhumains, comme ceux des antiques épo-

  1. Voir sur Anzengruber d’intéressants articles de M. Auguste Ehrhard, parus dans la Revue d’art dramatique (juillet-août 1897).
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