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268 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

séquent à l'exécuter. Il n'y a pas lieu d'en rougir, puisque cette faiblesse a sa source dans sa force même de vie réelle et d'action, et que les mêmes causes qui nous privent d'opéra nous ont faits les premiers au théâtre parlé. Il faut donc se demander s'il no valait pas mieux chercher une forme d'art musical vraiment fran- çaise, que s'obstiner à dépenser ses dons dans une œuvre qui ne répondait pas aux besoins de la race. Le Florentin Lully ne le pouvait comprendre. Les maîtres du théâtre français en ont eu la conscience dès le dix-septième siècle.

Saint-Evremond,si Français, si pénétrant des sentiments natio- naux, (d'autant plus peut-être, qu'il était moins ouvert aux idées étrangères), a excellemment donné la formule du rôle de la mu- sique dans la tragédie, et de l'art original qui devrait sortir en France de l'union des deux arts.

« Les vœux, les prières, les sacrifices, » dit-il, « et générale- ment tout ce qui regarde le service des Dieux, s'est chanté dans toutes les nations et dans tous les temps. Les passions tendres et douloureuses s'expriment naturellement par une espèce de chant : l'expression d'un amour que Ton sent naître, l'irrésolution d'une âme combattue de divers mouvements, sont des matières propres pour les Stances, et les Stances le sont assez pour le chant. Per- sonne n'ignore qu'on avait introduit des Chœurs sur le théâtre des Grecs ; et il faut avouer qu'ils pourraient être introduits avec autant de raison sur les nôtres. Voilà quel est le partage du chant, à mon avis ; tout ce qui est de la conversation et de la conférence, tout ce qui regarde les intrigues et les affaires, ce qui appartient au conseil et à l'action », est le domaine de la poésie (1).

Et plus loin, montrant, après l'emploi de la musique dans l'art ancien, l'art nouveau qu'on pourrait faire :

« Je conseillerais de reprendre le goût de nos belles comédies, où l'on pourrait introduire des danses et de la musique, qui ne nuiraient en rien à la représentation. On y chanterait un prologue avec des accompagnements agréables. Dans les intermèdes, le chant animerait des paroles qui seraient comme l'esprit de ce qu'on aurait représenté. La représentation finie, on viendrait à chanter un épilogue, ou quelque réflexion sur les plus grandes beautés de l'ouvrage : on en fortifierait l'idée, et ferait con- server plus chèrement l'impression qu'elles auraient fait sur les spectateurs. C'est ainsi que vous trouveriez de quoi satisfaire les

(1) Lettre sur les Opéra. — La mauvaise application de cette idée a con- duit, comme nous verrons, au genre faux de l'opéra-comique.

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