Page:Rolland Les origines du théâtre lyrique moderne.djvu/285

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

L'OPÉRA EN FRANCE. 271

griserie d'une nuit italienne, d'une mascarade d'amour. Elle en- veloppe le cerveau d'une atmosphère d'ivresse, où les êtres vivants peu à peu se déforment, sortent du monde réel, prennent des proportions fantastiques. Ainsi dans le Malade et le Bourgeois gentilhomme , où la comédie si franchement réaliste d'abord, se grise de sa santé, et finit dans le rire colossal de Pantagruel. Loin d'y sentir une déchéance de la grande comédie, j'y vois son fort épanouissement, une épopée de la belle humeur et de la bouffon- nerie. La musique n'ajoute pas peu d'ampleur à cette magnifi- cence du rire; surtout elle le rend possible; elle désarme la cri- tique; elle livre la raison aux folies des sens. En même temps

Dans le Mariage forcé, on voit (Argument) que Molière vise à la panto- mime musicale (29 janvier 1664). Dans La Princesse d'Elide (8 mars 1664), la partie musicale est déjà mieux rattachée à l'action ; elle est mêlée aux dia- logues dans les entr'actes, mais d'un caractère comique. Cependant, le qua- trième intermède a je ne sais quel parfum de comédie shakespearienne. La musique berce la rêverie, et augmente le trouble de la princesse amoureuse. « Tâchez de charmer avec votre musique le chagrin où je suis... » — « ...Achevez seules, si vous le voulez. Je ne saurais demeurer en repos; et quelque douceur qu'aient vos chants, ils ne font que redoubler mon inquié- tude... »

Le prologue de Y Amour médecin (15 septembre 1665) montre la Comédie tendant la main à la Musique et au Ballet :

Quittons, quittons notre vaine querelle,

Ne nous disputons point nos talents tour à tour.

Les entrées de ballets font de la pièco un véritable opéra-bouffe. Cham- pagne frappe en dansant, aux portes de quatre médecins. Les médecins dansent en se saluant. C'est du haut Guignol.

M. de Pourceaugnac (6 octobre 1669), plus encore, ressemble à V « opéra buffa » italien. 11 commence par une sérénade ; il y a des duos bouffes (con- sultation des médecins et des avocats), et des ballets ridicules (poursuite des matassins, danse de deux procureurs et des sergents).

11 en est de même du Bourgeois gentilhomme (14 octobre 1670) et du Malade imaginaire (10 février 1673). Pour achever la liste, je me contente de nommer Mélicerle (2 décembre 1666), La Pastorale comique (idem), Le Sicilien (janvier 1667), George Dandin (18 juillet 1668), Les Amants magni- fiques (7 septembre 1670), Le Ballet des Ballets (décembre 1671).

On est surpris que la musique ne soit point mêlée aux Fourberies de Scapin (4 mai 1671) et à Amphitryon (12 janvier 1668). Mais ce dernier est une musique à soi seul.

Sans insister davantage sur un sujet qui a été plusieurs fois étudié, je ferai remarquer particulièrement trois scènes : le sixième intermède des Amants magnifiques (Solennité des jeux Pythiens on musiquo), qui est du pur opéra; la Cérémonie du Malade, et le Ballet des Nations, à la fin du Bourgeois (le donneur do livres et la foule), dont un Rossini pourrait soûl traduire en musique l'ampleur de bouffonnerie et la vio tumultueuse. C'est du plus grand opéra-bouffe.

�� �