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L OPÉRA EN FRANGE. 273

peut convenir à un genre aussi fluet (1). « Il faut saisir, » dit-il, « le moment précis où l'action peut s'arrêter, et la passion , le sentiment pur, se montrer et se développer. Ces sortes de scè- nes, où la pensée de l'auteur quitte pour ainsi dire son sujet, sûre de le retrouver tout à l'heure, et se jette hors de l'intrigue et de la pièce même dans l'élément purement humain , ces sortes de scènes sont extrêmement difficiles ; c'est la part de la poésie. L'opéra comique est justement celui de tous les genres où se montre le plus distinctement ce temps d'arrêt, ce point de démar- cation entre l'action et la poésie. En effet, tant que l'auteur parle, l'action marche, ou du moins peut marcher. Mais dès qu'il chante, il est clair qu'elle s'arrête. Que devient alors le personnage? C'est la colère, c'est la prière, c'est la jalousie, c'est l'amour. Que le personnage s'appelle comme il voudra, Agathe ou Elise, Dernance ou Valcour, la musique n'y a point affaire. La mélodie s'empare du sentiment, elle l'isole; soit qu'elle le concentre, soit qu'elle l'épanché largement, elle en tire l'accent suprême : tantôt lui prêtant une vérité plus frappante que la pa- role, tantôt l'entourant d'un nuage aussi léger que la pensée, elle le précipite ou l'enlève, parfois même elle le détourne, puis le ramène au thème favori , comme pour forcer l'esprit à se sou- venir, jusqu'à ce que la muse s'envole et rende à l'action passa- gère la place qu'elle a semée de fleurs. »

Musset comprend la musique à la façon de Saint-Evremond. « Le chant animerait des paroles qui seraient comme l'esprit de la représentation (2). » Il ne lui permet pas de se mêler à l'action; elle n'a point cette témérité de peindre les âmes des héros et leurs passions individuelles; mais elle prend les germes de pas- sion qui sont en eux, les développe et les paraphrase; elle répand autour du drame une sorte d'atmosphère sensuelle et sentimen- tale qui grise les spectateurs et les fait participer, d'une manière inconsciente et trouble, aux émotions du spectacle. A vrai dire, des intermèdes symphoniques , ou des chœurs à l'antique (d'un sentiment aussi moderne que l'on voudrait, et tels que les ima- gine par exemple, l'auteur d'On ve badine pas), eussent mieux résolu le problème, que ce genre hybride de l'opéra comique, avec les heurts do ses deux langues juxtaposées et disparates. Mais le Français a cherché son plaisir plus que son idéal ; puis-

(1) A. de Musset, Discours de réception à V Académie française (27 mai 1852) sur Dupaty.

(2) Saint-Evremond, Lettre sur les Opéra. Voir plus haut.

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