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290 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

sicale? Ils ne sont pas moins passionnés que les Italiens; ils sont à la fois lyriques et vivants. Comment leurs passions ne trouvent-elles pas naturellement d'expression mélodique?

Faute de raisons positives, nous sera-t-il permis de risquer une hypothèse un peu paradoxale?

Peuple distinct des autres peuples de l'Europe, par la race, le pays, les coutumes, l'esprit, nul n'a plus que lui une personna- lité absolument originale; nul ne sent d'une façon pins indivi- duelle. Il est Anglais par la forme de l'esprit, le fond de la pensée, jusque dans les éléments les plus insaisissables qui la composent; (les sensations hallucinatoires d'un Shakespeare, ou d'un Dickens, n'appartiennent qu'à l'Anglais). J'oserai même affirmer que nul autre ne portait davantage en lui les germes des arts les plus per- sonnels , les moins semblables au reste des nations. Le matériel des sensations est autre; ils ne voient pas comme nous, ils n'en- tendent pas comme nous, leurs associations d'idées sont par suite d'un autre ordre. Il n'y a pas, à proprement parler, un système musical allemand, distinct de celui de l'Italie; les modes, les to- nalités sont les mêmes; ce sont des nuances dans le caractère et dans l'intelligence, mais l'oreille a les mêmes besoins et les mê- mes jouissances; c'est plutôt une différence d'éducation que de nature. En Angleterre, en Ecosse, (comme en Russie et en Nor- vège), subsistent véritablement les traces d'un art qui repose sur d'autres nécessités matérielles, d'autres besoins physiques. Les chants populaires le disent; mais nul génie national ne les a traduits dans l'art.

Hommes d'action, nés, comme les Romains , pour commander au monde, ils se sont trouvés comme eux, de trop bonne heure, en contact avec de vieilles civilisations et des arts raffinés. Trop jeunes encore pour lutter contre le pouvoir des siècles, ils ont subi l'empreinte profonde des chefs-d'œuvre étrangers; et comme ils étaient trop fiers et trop peu souples pour s'assimiler le suc de tout ce qu'il y a de beau chez les autres, (ainsi que fait un génie latin, Raphaël ou Molière), ils sont restés comme des étrangers à l'art, ne pouvant entrer dans celui des autres, et ne se souvenant plus du leur. Ils avaient la grandeur de l'Angleterre à fonder, et ils n'avaient pas beaucoup de temps ni d'attention pour le reste. Ils se sont commandé ailleurs une musique saine, claire, forte, sou- cieuse des convenances artistiques, mondaines et religieuses, sans écart d'imagination, sans originalité blâmable. Ils ont adopté Bononcini, Hàndel et Mendelssohn. Leurs peintres se sont faits Italiens, et ce n'est guère qu'en ce siècle, à l'apparition de Tur-

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