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Page:Rolland Les origines du théâtre lyrique moderne.djvu/305

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ner (vers 1820), qu’ils ont pris brusquement conscience de leurs aspirations et de leurs besoins ; avec quel éclat original, on le sait aujourd’hui. — La musique n’aura-t-elle pas le même sort, et ne surgira-t-elle pas brusquement des passions de la race reflétées dans un homme ?

D’autres raisons s’y opposeront peut-être, qui eurent, à mon sens, une grande part au manque d’art musical en Angleterre depuis le dix-septième siècle. De terribles passions dorment dans la nature anglaise; mais elles ne se dépensent pas en agitation tumultueuse, comme celles des Italiens; elles éclatent par éclairs, par accès de fureur. Le reste du temps , ils sont froids, concentrés, pratiques et railleurs (1). Ils ont eu de bonne heure conscience de ces germes de folie sensuelle, colère ou passionnée, qui grondent dans le cerveau saxon (2); et ces hommes d’action, pour assurer leur action, ont travaillé à les assujettir, loin de les aviver comme l’Italien , qui en fin de compte n’a rien à craindre de sa nature, se dépensant sans cesse , et ne gardant rien en lui de tout ce qui l’oppresse. L’Anglais a la pudeur (ou le respect humain , — la honte dans tous les cas) des forces sauvages qu’il sent en lui ; il a travaillé, surtout depuis sa transformation puritaine (les deux révolutions protestantes du dix-septième siècle), à les refouler dans l’abîme obscur du cœur (3) ; et il a étouffé de

(1) Aussi peut-on plus facilement concevoir en Angleterre, une forme de drame lyrique, où la parole pratique a sa part bien distincte du chant poétique , que le drame lyrique continu. Ainsi l’opéra de Purcell, entrecoupé de musiques, avec des dialogues parlés. Shakespeare mêle aussi la musique à ses pièces , et les emportements ou les rêves lyriques à l’ironie froide et aux conversations réalistes. 11 est curieux d’étudier, au point de vue de la seule musique, la Tempête ou le Songe d’une nuit d’été.

(2) Voir toute la suite de la littérature anglaise chez Taine.

(3) M. Taine montre avec beaucoup de vigueur la transformation volontaire de l’Anglais après la Restauration, transformation nécessaire d’ailleurs pour le sauver d’une mort inévitable.

« Par dégoût et par contraste, une révolution se préparait dans les inclinations littéraire^ et dans les habitudes morales, en même temps que dans les croyances générales et dans la constitution politique. L’homme changeait tout entier, et d’une seule volte-face. La même répugnance et la même expérience le détachaient de toutes les parties do son ancien état. L’Anglais découvrait qu’il n’est point monarchique, papiste, ni sceptique, mais libéral, protestant et croyant. Il comprenait qu’il n’est point viveur ni mondain, mais réfléchi et intérieur. Il y a en lui un trop violent courant de vie animale pour qu’il puisse sans danger se lâcher du côté de la jouissance; il lui faut une barrière de raisonnements moraux qui réprime ses débordements... » {Histoire de la littérature anglaise, t. III, p. 142. — 1885, Hachette).