Page:Rolland Vie de Michel-Ange.djvu/161

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FOI

saint François aux stigmates ; — un de ses ouvriers romains, qui travaillait au tombeau de Jules II, et qui crut être devenu un grand sculpteur, sans y avoir pris garde, parce qu’en suivant docilement les indications de Michel-Ange, il avait fait sortir du marbre, à sa stupéfaction, une belle statue ; — le facétieux orfèvre Piloto, dit Lasca ; — le fainéant Indaco, ce peintre singulier, « qui aimait autant à bavarder, qu’il détestait de peindre », et qui avait coutume de dire que « travailler toujours sans prendre de plaisir était indigne d’un chrétien » ;[1] — surtout, le ridicule et inoffensif Giuliano Bugiardini, pour qui Michel-Ange avait une sympathie spéciale.

Giuliano avait une bonté naturelle, une façon simple de vivre, sans méchanceté et sans envie, qui plaisait infiniment à Michel-Ange. Il n’avait d’autre défaut que d’aimer trop ses propres œuvres. Mais Michel-Ange avait coutume de l’estimer heureux pour cela ; car il se trouvait lui-même très malheureux de ne pouvoir se satisfaire pleinement de rien… Une fois, messer Ottaviano de Médicis avait demandé à Giuliano de lui faire un portrait de Michel-Ange. Giuliano se mit à l’œuvre ; et, après avoir tenu Michel-Ange assis deux heures, sans parler, il lui dit : « Michel-Ange, viens voir, lève-toi : l’essentiel de la physionomie, je l’ai déjà attrapé. » Michel-Ange se leva ; et, quand il vit le portrait, il dit en riant à Giuliano : « Que diable as-tu fait ? Tu m’as enfoncé un œil dans la tempe : regarde un peu. » Giuliano, à ces mots, fut hors de lui. Il regarda plusieurs fois le portrait et son modèle, alternativement ; et il répondit hardiment : « Il ne me semble pas ; mais remets-toi à ta place, et je le corrigerai, s’il y a lieu. » — Michel-Ange, qui savait ce qui en était, se replaça en souriant en face de Giuliano, qui le regarda à diverses reprises ainsi que sa peinture,

  1. Vasari.
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