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la vie de Michel-Ange

d’aujourd’hui, si vous avez besoin de moi, vous pouvez me faire chercher partout ailleurs qu’à Rome. »

Il envoya la lettre, appela un marchand et un tailleur de pierres, qui logeaient chez lui, et leur dit :

« Cherchez un Juif, vendez tout ce qui est dans ma maison, et venez à Florence. »

Puis il monta à cheval et partit.[1] Quand le pape reçut la lettre, il envoya après lui cinq cavaliers, qui l’atteignirent vers onze heures du soir, à Poggibonsi, et lui remirent l’ordre suivant : « Aussitôt après la réception de ceci, tu retourneras à Rome, sous peine de notre disgrâce. » Michel-Ange répliqua qu’il retournerait, quand le pape tiendrait ses engagements : sinon, Jules II ne devait pas espérer de le revoir jamais.[2]

Il adressa ce sonnet au pape :[3]

Seigneur, si jamais proverbe est vrai, c’est bien celui qui dit que qui peut, jamais ne veut. Tu as cru à des contes et à des bavardages, tu as récompensé qui est l’ennemi du vrai. Pour moi, je suis et j’ai été ton bon vieux serviteur, je te suis attaché comme les rayons au soleil ; et le temps que je perds ne t’afflige pas ! Plus je me fatigue, moins tu m’aimes. J’avais espéré grandir par ta grandeur, et que ta juste balance et ta puissante épée seraient mes seuls juges, et non l’écho mensonger. Mais le ciel se moque de toute vertu, en la plaçant dans ce monde, si elle doit y attendre des fruits d’un arbre sec.[4]

  1. Le 17 avril 1506.
  2. Tout ce récit est extrait textuellement d’une lettre de Michel-Ange, d’octobre 1542.
  3. Je le place à cette date, qui me paraît la plus vraisemblable, bien que Frey, sans raison suffisante, à mon sens, reporte le sonnet vers 1511.
  4. Poésies, III. — Voir Annexes, I, à la fin du deuxième cahier.

    « L’arbre sec » est une allusion au chêne vert, qui figure dans les armoiries des De la Rovere (famille de Jules II).

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