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LA FORCE QUI SE BRISE

feuilles volantes, de pensées qu’il reprenait ensuite et retravaillait sans cesse. Malheureusement, il fit brûler, en 1518, le plus grand nombre de ses poésies de jeunesse ; d’autres furent détruites avant sa mort. Le peu qui nous en reste suffit pourtant à évoquer ses passions.[1]

La plus ancienne poésie semble avoir été écrite à Florence, vers 1504 :[2]

Comme je vivais heureux, tant qu’il m’était accordé, Amour, de résister victorieusement à ta rage ! Maintenant, hélas ! je baigne ma poitrine de larmes, j’ai éprouvé ta force…[3]

Deux madrigaux, écrits entre 1504 et 1511, et probablement adressés à la même femme, ont une expression poignante :

Qui est celui qui par force me mène à toi… hélas ! hélas ! hélas !… étroitement enchaîné ? Et je suis libre pourtant !…

Chi è quel che per forza a te mi mena,
Oilme, oilme, oilme,
Legato e strecto, e son libero e sciolto ?[4]

Comment est-il possible que je ne sois plus à moi ? Ô Dieu ! Ô Dieu ! Ô Dieu !… Qui m’a arraché à moi-même ?… Qui peut plus en moi que moi-même ? Ô Dieu ! Ô Dieu ! Ô Dieu !…

  1. La première édition complète des poésies de Michel-Ange fut publiée par son petit-neveu, au commencement du dix-septième siècle, sous le titre : Rime di Michelangelo Buonarroti raccolte da M. A. suo nipote, 1623, Florence ; elle est tout à fait erronée. Cesare Guasti donna, en 1863, à Florence, la première édition à peu près exacte. Mais la seule, vraiment scientifique et complète, est l’admirable édition de Carl Frey : Die Dichtungen des Michelagniolo Buonarroti, herausgegeben und mit kritischem Apparate versehen von Dr  Carl Frey, 1897, Berlin. C’est à celle-ci que je me réfère, au cours de cette biographie.
  2. Sur la même feuille sont des dessins de chevaux et d’hommes combattant.
  3. Poésies, II. Voir aux Annexes, III.
  4. Ibid., V.
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