Page:Rolland Vie de Michel-Ange.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
la vie de Michel-Ange

instant, il écrit aux siens de prendre garde, de se taire de fuir à la première alerte :

Faites comme au temps de la peste, soyez les premiers à fuir… La vie vaut mieux que la fortune… Restez en paix, ne vous faites aucun ennemi, ne vous confiez à personne, sauf à Dieu, et ne dites de personne ni bien ni mal, parce qu’on ne connaît pas la fin des choses ; occupez-vous seulement de vos affaires… Ne vous mêlez de rien.[1]

Ses frères et ses amis raillaient ses inquiétudes et le traitaient de fou.[2]

« Ne te moque pas de moi, répondait Michel-Ange attristé, on ne doit se moquer de personne. »[3]

Le tremblement perpétuel de ce grand homme n’a en effet rien qui prête à rire. Il était à plaindre plutôt pour ses misérables nerfs, qui faisaient de lui le jouet de terreurs, contre lesquelles il luttait, sans pouvoir s’en rendre maître. Il n’en avait que plus de mérite, au sortir de ces accès humiliants, à contraindre son corps et sa pensée malades à subir le danger, que son premier mouvement avait été de fuir. D’ailleurs il avait plus de raisons de craindre qu’un autre, car il était plus intelligent, et son pessimisme ne prévoyait que trop clairement les malheurs de l’Italie. — Mais, pour qu’avec sa timidité naturelle il se laissât entraîner dans la révolution florentine, il fallait qu’il fût dans une exaltation de désespoir, qui lui fit dévoiler le fond de son âme.

Cette âme, si craintivement repliée sur elle-même,

  1. Lettre de Michel-Ange à Buonarroto (septembre 1513).
  2. « Je ne suis pas un fou, comme vous croyez… » (Michel-Ange à Buonarroto, septembre 1515)
  3. Michel-Ange à Buonarroto (septembre et octobre 1512).
86