ou aux collectionneurs. Saint-Simon conte que Rigand gagna 25.000 livres avec les copies qu'il vendit du portrait de Rancé ; il gagna certainement bien davantage avec les innombrables copies qu’il fit des portraits du roi, de Philippe V et des princes de la famille royale que les courtisans s'empressèrent de lui commander à l'envi et qui sont répandues dans les musées et les galeries publiques ou privées du monde entier.
Rigaud reste donc peintre de portraits, mais il devient aussi entrepreneur de portraits ; il fait même procéder dans son atelier à des copies et des arrangements de portraits qui ne sont pas son œuvre. En 1716 il peint Charles XII, roi de Suède, d'après un dessin ou une esquisse qu'on lui communique ; en 1704 il refait les ancêtres du comte de Guiscard soit pour les mettre à une dimension voulue, soit pour les peindre au goût du jour.
Les renseignements curieux abondent du reste dans cette énumération des copies sorties de l’atelier de Rigaud et des personnes qui les ont commandées. Nous voyons une copie du portrait de Bossuet faite pour son secrétaire l'abbé Le Dieu qui l'a si bien traité, ainsi que toute sa famille, dans des mémoires destinés à rester secrets ; une autre du cardinal de Bouillon pour Baluze, son généalogiste à gages. Des prélats amis échangent leurs portraits comme maintenant on échange sa photographie. Il est instructif de rechercher quels courtisans ont commandé à Rigaud des copies des portraits du roi, du prince de Conti et du roi de Pologne, du roi d'Espagne et du cardinal de Fleury quand il était tout-puissant et pouvait répandre à pleine main les faveurs autour de lui. Quand ces grands personnages disparaissent et qu'on n'a plus rien à attendre d'eux, la mode disparait en même temps d'avoir leur portrait dans son salon. Un portrait de Louis XIV commandé à Rigaud avant la mort du tout-puissant monarque, reste inachevé dans son atelier et n'a plus de preneur une fois le grand roi qu'il représentait descendu dans la tombe.