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VIE

grats envers celui qui avait si largement versé sur la France les sources de la poésie grecque et latine, qui si victorieusement avait enrichi son pays des dépouilles de l’antiquité, dédaignent le génie de Ronsard, accusent même cette heureuse réforme à laquelle ils doivent toute leur gloire ; et, sans respect pour une fécondité devant laquelle s’éclipse son ingénieux labeur, pour une verve à laquelle il ne peut opposer que la correction et la pureté, Malherbe biffe d’un trait de plume tous les vers de Ronsard. On sait comment Boileau confirma ce jugement, comment il accusa Ronsard d’avoir brouillé tout, en voulant tout régler. Boileau, législateur du Parnasse dont Ronsard avait été proclamé l’Apollon par une bouche royale, l’emporta dans l’esprit de la postérité, et, jusqu’à nos jours, le poëte orgueilleux trébuché de si haut devint le type des grandes réputations surprises à l’ignorance, ou à la complaisante amitié des contemporains.

Ronsard avait subi le pire des affronts pour un poëte : il était oublié, lorsque, moins pour venger le génie méconnu que pour attaquer l’autorité de son détracteur, la nouvelle école littéraire du dix-neuvième siècle, s’avisa de le replacer sur son piédestal ; étrange bizarrerie, qui consistait à donner pour patron à des poëtes désireux de s’affranchir des règles de la tradition, les œuvres de celui qui se vantait d’avoir le premier remis en honneur Homère, Pindare, Virgile, Horace… et de n’exister lui-même que par les Grecs et les Latins !

Les François qui mes vers liront,
S’ils ne sont et Grecs et Romains,
En lieu de ce livre, ils n’auront
Qu’un pesant faix entre les mains.