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bord, marquée : l’intérêt obsédant de la vie contemporaine — le développement de l’esprit historique — la restauration du Christianisme ont été, nous allons essayer de le montrer, à des degrés divers, hostiles au Davidisme.

Une des prétentions essentielles de David fut de s’abstraire de la préoccupation de son temps, de remonter aux époques sereines de l’antiquité, d’oublier ou de dédaigner le présent, comme incompatible avec les exigences de l’art. La fin de l’ancien régime se prêtait, certes, à merveille, à cet effort de renoncement. Il était alors facile à ceux qui pensaient ou imaginaient avec grandeur, de s’isoler de la médiocrité des contingences. Mais, lorsque les temps qu’annonçaient les Horaces furent venus, lorsqu’une réalité conforme à leurs aspirations s’offrit aux peintres, il leur devint plus malaisé d’en rejeter la vision.

Ces tendances devinrent bientôt un devoir et la Révolution demanda aux peintres la même adhésion et le même concours qu’elle réclamait des autres citoyens. Dans la France en danger, les artistes devaient contribuer à la défense et à la grandeur de la Patrie.

C’est à contre-cœur que les Davidiens abordèrent la célébration des gloires nationales. Quelques-uns essayèrent de rester fidèles à leurs principes, quand même. Ils représentèrent les faits par des allégories[1]. Ou bien, s’ils acceptaient la réalité, ils essayaient, du moins, de la magnifier par un mélange allégorique. David, dans 1’esquisse des Aigles, introduisit une Victoire répandant, du haut des airs, des lauriers sur les drapeaux français[2]. Ou bien encore, ils ôtaient à l’œuvre tout caractère épisodique et anecdotique, par la suppression de tout accessoire, par une sorte d’abstraction partielle. C’est ce système dont usa David dans le Marat[3], la mort de Bara[4] ou le Bonaparte au Saint-Bernard[5]. Dans ces trois œuvres est visible le souci de ne garder du souvenir que l’essentiel et d’éliminer du cadre toutcet ensemble de particularités par lesquelles les instants et les lieux se diversifient.

Mais, tous ces efforts, le plus souvent, restaient vains. Malgré ces tentatives de résistance, la réalité empoigna bientôt les peintres ; elle les saisit tout entiers. David lui-même, tout le premier, y oublia ses préceptes impassibles. Les instincts de réaliste qu’il comprimait en lui se réveillèrent. Il eut des raffinements de curiosité. Chargé de peindre l’assassinat de Lepelletier de Saint-Fargeau, il fa i—

  1. Ainsi, sur les monnaies de Dupré, Hercule et deux belles filles personnifient la devise révolutionnaire. Voir, dans Armand Dayot, Napoléon par l’image, de curieuses compositions allégoriques d’Appiani ; au musée de Rouen, Aug. Belle, Allégorie de la Paix (1810) ; à Versailles, Callet, allégories de la Reddition d’Ulm et de Marengo
  2. David, op cit., p. 470.
  3. Au musée de Toulouse ; copie au musée de Bruxelles.
  4. Au musée d’Avignon ; copie au musée de Lille.
  5. Au musée de Vienne, sous le n°9 ; copié à Versailles.