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LA JEUNE VAMPIRE

l’alcool et à celle de l’opium, il n’y avait presque pas place pour l’étonnement. L’au-delà lui semblait une chose toute simple, le surnaturel se confondait étroitement avec le naturel.

— Vous ne regrettez pas du tout votre autre vie ? demanda-t-il.

Elle eut un grand frisson, puis, d’une voix impressionnante :

— J’ai peur de mon autre vie ! Je sens qu’il m’est arrivé, par là, une aventure si épouvantable… que mon âme a dû partir. C’est inexprimable et affreux. Et, enfin, puisque je vous aime ?

Elle avait prononcé les derniers mots d’une voix si pure, si tendre, si humaine, elle était si belle et d’une beauté si grisante, que James ne vit plus qu’une femme adorée. Il saisit la tête d’Evelyn ; leurs lèvres se cherchèrent dans un dévorant baiser. D’abord ce fut le délire. Tout s’effaça dans l’immense amour… Puis, la faiblesse étrange que Bluewinkle connaissait trop bien s’empara de sa chair et de son cerveau ; il se sentit défaillir… il n’eut que le temps de se dérober à l’étreinte…

Alors il vit, distinctement, une pourpre humide qui débordait aux commissures des lèvres d’Evelyn, et des filets rouges sur les dents argentines :

— Du sang ! s’écria-t-il… Mon sang !

Evelyn poussa une longue plainte.


iii


Quand James se réveilla le lendemain matin sur le divan du « parlour », où il avait dormi d’un sommeil léthargique, il fut quelque temps avant de pouvoir disjoindre l’idée d’illusion et l’idée de réalité. Puis une crainte mystique et un dégoût amer le saisirent. La pitié s’y mêla quand il revit