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LA JEUNE VAMPIRE

tant voulu vivre comme les autres !… Quelle pitié il aurait dû avoir d’elle ! Et maintenant !…

— Pardonnez-moi, Evelyn ! chuchota-t-il. Ce n’est pas vous, c’est moi qui ne savais pas ce que je faisais !

Il avait soulevé la main blanche ; il y posa un grand baiser de douleur et de repentir. La petite main était froide, mais singulièrement souple. Du reste, aucun indice de raideur ne se révélait sur le visage. Seule l’immobilité était funèbre. Il parut même au veilleur qu’Evelyn était moins pâle encore que naguère. Il y avait on ne sait quelle esquisse de teinte, quelle aube de rose, sur les joues fines et sur les tempes. À aucun moment Evelyn ne lui avait paru aussi charmante, même aux heures rêveuses où le crépuscule d’été atténuait la lividité de son visage…

Peu à peu, une émotion inconnue se mêla au trouble de James. C’était une oppression légère, la sensation d’un souffle, d’une aura mystérieuse, puis on ne sait quel enveloppement, quel passage de tourbillons impondérables…

— Je ne suis pas seul ! murmura soudain Bluewinkle… Il se passe ici quelque chose de redoutable !

Jamais il n’avait eu un tel sentiment de la vie immense et profonde qui enveloppe les faibles créatures… Grelottant, il était convaincu qu’un événement extraordinaire venait de se produire. D’abord, sa certitude demeura dans le « brouillard sans forme ». James était comme un homme qui entend au loin la rumeur d’une multitude. Elle approche ; on sait qu’elle annonce des événements ; on perçoit des paroles obscures, des plaintes, des menaces, des objurgations… Ainsi James percevait le drame invisible… Soudain, tout se dévoila et, couvrant son visage de ses mains, il balbutiait :

— Evelyn n’est plus morte ! Il vacillait comme un arbre dans la tempête.

Son agitation dura à peine une minute. Elle fut suivie d’un calme étrange, qui ne manquait pas de douceur. James