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LA JEUNE VAMPIRE

se remit à contempler Evelyn. Elle était toujours immobile, mais l’aube de rose s’accentuait. Il y avait maintenant sur les joues une lueur comparable à celle de la neige des cimes, au moment où l’Alpenglühn [1] va disparaître. Aucun doute ne se levait dans l’âme de James ; il attendait, avec une foi hypnotique, le réveil de la jeune femme. Déjà, il lui semblait percevoir une vibration des lèvres… Et il n’éprouva aucun étonnement lorsque le rythme de la respiration souleva la poitrine :

— Evelyn ! appela-t-il d’une voix assourdie.

Elle ne s’éveilla pas tout de suite. Elle semblait dormir d’un sommeil profond et calme… Quand il l’eut appelée plusieurs fois, les sourcils se contractèrent ; elle finit par ouvrir les yeux.

Il fut tout de suite frappé par l’expression de ces yeux — expression particulièrement innocente et même naïve. D’ailleurs, il y avait sur tout le visage quelque chose que James n’avait jamais discerné sur le visage de sa femme.

— Qu’y a-t-il ? balbutia-t-elle.

Elle regardait autour d’elle avec effarement, sans paraître voir Bluewinkle. Mais soudain, un pourpre de pudeur envahit ses joues, elle s’exclama :

— Où suis-je ?… Pourquoi suis-je ici ?… Ma mère !…

Cette voix troublait tendrement James ; il était saisi d’une sorte de honte :

— Ne me reconnaissez-vous pas ? dit-il avec une extrême douceur. Je suis James… votre mari…

— Mon mari ! se récria-t-elle. Je ne suis pas mariée. Oh ! monsieur… si vous êtes un gentleman… faites venir mes parents…

Elle parlait avec une véhémence et une sincérité impressionnantes, et se cachait à demi le visage sous le drap. James se sentait positivement comme un étranger : le respect de sa

  1. Les Suisses appellent ainsi sa lueur qui reparaît parfois, après le crépuscule, sur les montagnes.