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LA JEUNE VAMPIRE

grand attrait qu’Evelyn fût ensemble sa femme et une autre femme. On a beau être Anglo-Saxon jusqu’au bout des phalanges, on garde tout de même quelque trace de l’antique instinct des patriarches.

« Enfin ! songeait-il… c’est bien elle que j’ai cru épouser !… Elle m’appartient aussi honnêtement pour le moins que ma fortune ! »

Il était trop gentleman pour faire état de ses droits ; il répondit avec déférence :

— Vous êtes libre. Je suis incapable d’exercer contre vous la moindre contrainte. Mais, après tout, vous ignorez ce que vous penserez et ce que vous sentirez demain… Je respecte votre première impression, qui est noble, mais il n’est pas possible de supprimer les événements : rien ne prouve que la situation ne finira pas par s’imposer à vous… Je suis tout de même votre mari… Et, de toutes les solutions, la plus honorable est que…

Elle l’interrompit d’un geste fiévreux.

— Ce mariage est nul ! Même si je vous aimais, — et je crois que c’est désormais impossible, — jamais je ne vivrais auprès de vous, à moins d’un mariage nouveau !

— Écoutez, reprit-il. Il y a bien des manières d’attendre et d’arranger les choses… Puisque vous ne voulez pas habiter avec moi, vous retournerez chez vos parents, ou vous habiterez seule notre « home »… Je trouverai les prétextes nécessaires. Je ferai des voyages. Mais, ce que je vous demande humblement, c’est de me recevoir quelquefois, en compagnie des vôtres, si vous voulez, ou bien de me rencontrer dans des endroits publics. J’ai absolument besoin « d’essayer ma chance » [1].

— Et pourquoi voulez-vous essayer votre chance ? demanda-t-elle amèrement.

— Parce que je vous aime…

— Alors, vous n’aimiez pas l’autre ?

  1. Littéralement traduit de l'anglais : to try my chance.