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LA JEUNE VAMPIRE

— Je veux être sincère : je l’aimais. Mais comprenez-moi bien : je l’aimais comme on aime presque toujours les gens… sans bien la connaître — et avec une certaine horreur, très naturelle, n’est-ce pas ?

— Oui, avoua-t-elle, très naturelle. Seulement, vous me connaissez encore bien moins.

— Eh bien, je ne crois pas. Les détails de votre caractère m’échappent certainement. Mais je sens votre fierté, votre pureté, votre horreur du mensonge. C’est le principal d’une nature morale ! Enfin, quelque chose veut, depuis que les hommes existent, que nous aimions aussi nos semblables pour leur nature physique… Cela vient de plus loin et de plus haut que nous… C’est la loi ! Nous devons l’accepter !

Cette argumentation s’adaptait trop à la mentalité anglaise d’Evelyn pour qu’elle y trouvât à redire. Elle baissa la tête, elle répéta d’un air rêveur :

— Nous devons l’accepter !

Elle reprit :

— Soit. Je ne puis pas refuser de vous revoir quelquefois. Je le ferai par devoir, à condition que cela ne dure pas trop longtemps.

— Vous fixerez vous-même le délai.

— Trois mois vous suffisent-ils ?

— Oui, soupira-t-il, trois mois suffiront…

Un nouveau silence. Bluewinkle s’était levé et regardait par la fenêtre. Il avait le cœur gros. Plus que tout, l’idée qu’Evelyn quitterait le « home » lui était insupportable.

Il finit par dire :

— Vous êtes encore trop faible pour vous déplacer. Voici ce que je propose. Je partirai ce soir même en voyage. La femme de chambre et la cuisinière sont d’excellentes créatures, sur la bonne conduite desquelles vous pouvez faire fond. Votre famille viendra vous voir aussi souvent que vous le désirerez. Ainsi, tout sera correct et confortable !…

« C’est pourtant un gentleman ! » songea Evelyn.

Et elle lui tendit la main. Mais, dès qu’elle toucha les