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LA JEUNE VAMPIRE

doigts de James, elle devint pourpre : la même honte et la même rancune qu’elle avait si violemment ressenties naguère bouillonnèrent dans sa poitrine.

La petite main se retira vivement ; James sortit de la chambre, pensif et misérable.

Il fit ses préparatifs de départ et ne revit pas Evelyn de toute la journée. Ce furent des heures lugubres. Il était en proie à ce chagrin immobile, si l’on ose dire, qui ravage si profondément les hommes du Nord. En même temps, il souffrait de ses pensées. Elles eussent été anormales chez n’importe quel homme ; elles étaient intolérables pour un jeune Anglo-Saxon qui a toujours vécu sous le régime d’une discipline morale où l’imprévu même ne suscite guère de contradictions. Il s’effrayait des aspects bizarres que prenaient chacun de ses regrets ou de ses désirs et des nuances dont se revêtaient ses moindres actes. Tout cela s’ajoutait au regret de quitter Evelyn et lui donnait la fièvre. Il avait par moments envie de partir pour l’autre bout du monde, de s’enfoncer dans les déserts blancs du pôle Sud ou dans les déserts sableux de l’Australie torride.

Après le crépuscule, il fit venir une voiture et alla faire ses adieux à sa compagne.

Il la trouva étendue sur une chaise longue, un peu faible encore, mais si fraîche, si « éclairante », avec de si beaux yeux d’enfant, qu’il se sentait chavirer d’amour.

— Farewell ! dit-il. Soyez heureuse.

— Comment pourrai-je l’être ? fit-elle à mi-voix.

Il avait froid au cœur. Il ne pouvait s’empêcher de trouver injuste que cette créature, qui était si fortement de sa race, ne l’aimât point, alors que l’autre, venue des gouffres de l’au-delà, l’avait aimé…

Quand il fut dans le hackney, il se pencha à la portière. Evelyn était là, derrière ces vitres claires…