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LA JEUNE VAMPIRE

l’avait appréhendé. Peu à peu, ils en revinrent à causer de leur incroyable aventure. Elle était, à la vérité, la cause de leur séparation, mais elle était aussi un secret passionnant, quelque chose qui rendait leur destinée unique parmi les destinées humaines et les faisait en quelque sorte complices.

Evelyn sentait bien qu’elle aurait pu s’attacher à ce grand garçon candide, généreux et tendre, mais chaque fois qu’elle songeait à la possibilité d’être sa femme elle rougissait à la manière de la comtesse Aimée de Spenssi, dont Barbey dit que « son front, ses joues, son cou… jusqu’à la raie nacrée de ses étincelants cheveux d’or, tout s’infusait, s’inondait d’un vermillon de flamme » [1].

Evelyn avait maintenant complètement repris ses forces. Elle allait régulièrement voir la bonne mistress Grovedale, la jeune Harriet et le jeune Jack. Jamais sa santé n’avait paru plus solide ; son teint pouvait défier la fraîcheur et l’éclat des teints de babies, — de ces babies éblouissants qui se roulent sur l’herbe émeraudée de Hyde Park ou dans les squares verdoyants de West End.

Brusquement, il lui vint des malaises. C’était le plus souvent au matin, mais parfois aussi en plein jour, au milieu d’une promenade, d’une lecture ou d’une visite…

Un après-midi, mistress Grovedale, la voyant devenir toute pâle et chanceler, s’agita.

— Vous n’êtes pas bien, pauvre petite chose ! cria-t-elle. Vous devenez pâle comme cette soucoupe.

Elle criait emphatiquement, avec des gestes de moulin à vent. Evelyn avoua ses malaises. Mistress Grovedale, en l’écoutant, passa graduellement de la crainte à l’espérance.

— Darling ! fit-elle d’un air inspiré, je crois qu’il est temps que vous voyiez un médecin… ou peut-être préféreriez-vous une doctoresse ?

Elle souriait presque, — elle avait un air tendre, mystérieux et burlesque.

  1. Le chevalier des Touches.