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LA JEUNE VAMPIRE

Depuis ce soir, Evelyn ne lui montra plus aucune aversion. Elle le recevait amicalement ; leur causerie se prolongeait parfois pendant plus d’une heure. L’hiver coula, le printemps envoya ses petites fées tisser les feuilles des arbres et les corolles des fleurs, les tempêtes d’équinoxe rugirent sur les cheminées ; puis la date approcha, qui devait marquer pour Evelyn une double délivrance.

Ce fut à la fin de mai. Les crépuscules se prolongeaient interminablement dans le firmament londonien ; Big Ben, au haut du Parlement, sonnait à peine deux fois l’heure entre les dernières lueurs de la brume et les argentures de l’aube. Evelyn connut une nuit effroyable, où tout son être craqua dans les tortures… Au matin, un petit mâle poussa sa première plainte. Seulement, au lieu d’être rouge et pareil à une grenouille, comme ses congénères, il était fantastiquement pâle et les traits déjà amenuisés.

— What a love ! cria à tout hasard mistress Grovedale… Et tellement votre portrait, darling !

C’était exact, mais Evelyn ne voyait pas la forme du visage ; elle était terrorisée par cette pâleur, qui n’était vraiment pas de ce monde.

— Un fantôme ! chuchota-t-elle.

Et elle n’osait pas prendre le nouveau-né dans ses bras. Cependant, sa fatigue était si grande et elle ressentait un tel sentiment de délivrance qu’elle sombra dans le sommeil. Ce fut un sommeil très long, à peine entrecoupé d’un court réveil vers le soir.

Le lendemain, quand elle s’éveilla, elle aperçut une jeune femme qui venait de saisir l’enfant et lui offrait le sein.

— Mistress Tinyrump ne veut pas que vous nourrissiez… Vous avez besoin de réparer vos forces ! dit mistress Grovedale.

Evelyn ne répondit pas, hypnotisée par le spectacle de la petite bouche, qui avait saisi l’aréole bise de la nourrice. Des minutes frissonnantes s’écoulèrent. On voyait trembloter le