Page:Rosny aîné - La Jeune vampire, 1920.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
44
LA JEUNE VAMPIRE

menu visage. L’accouchée, à mesure, se sentait prise d’une joie subtile et profonde…

À la fin, elle dit :

— Donnez-le-moi !

La nourrice tendit le nouveau-né ; Evelyn ne cessait de regarder les petites lèvres. Elle avait un grand sourire, son cœur palpitait de bonheur : les lèvres étaient pleines de lait !

Depuis la veille, James attendait avec inquiétude. Lorsque mistress Grovedale lui avait montré le baby, un grand frémissement l’avait secoué : il reconnaissait trop bien cette pâleur prodigieuse, il retrouvait devant la frêle créature la crainte et l’horreur qui l’avaient agité avant le retour d’Evelyn. Il passa une journée chagrine et une nuit misérable ; son cœur était plein de tendresse pour l’enfant, comme il était plein d’amour pour la jeune mère. C’était l’heure de la destinée. Si le pauvre petit ne pouvait se nourrir que de sang, comment le mener à travers la vie ? Sans doute, il faudrait se résigner à perdre définitivement Evelyn.

Il songeait à ces choses, lorsque la femme de chambre vint desservir son breakfast, auquel il n’avait pas touché, et lui dit :

— Madame désire parler à monsieur.

Il n’osa pas descendre tout de suite ; il était comme un joueur qui hésite avant de risquer sa mise…

Quand il pénétra dans la chambre et qu’il aperçut le petit dans les bras d’Evelyn, il respira plus librement. Le visage de la jeune femme était paisible, ses yeux clairs et sans fièvre. Quand James fut proche, elle chuchota :

— C’est un enfant comme un autre !

D’un geste presque imperceptible elle montrait la nourrice, qui se tenait au fond de la chambre, et, pour la première fois, il sentit une pression franche répondre à sa pression de mains.