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CONTES. — PREMIÈRE SÉRIE

Eberhardt se mordit furieusement la moustache. Au fond, mû par d’invincibles instincts, par un atavisme hérité de toute une série d’ancêtres militaires, il gardait une sourde confiance dans le conflit direct des hommes. D’autre part, si médiocre qu’il fût comme généralissime, il avait le sentiment de l’épouvantable force destructive des nouveaux armements. Il demanda d’une voix brève :

— Alors, selon vous, que faut-il faire ?

Le comte Zriny hésita une minute. Puis, un peu pâle, et baissant la voix, mais avec beaucoup de fermeté :

— Nous sommes perdus, si cette nuit même vous n’ordonnez pas la retraite…

— C’est la défaite… c’est le déshonneur, hurla Eberhardt.

— C’est le salut. Nous pouvons aller occuper, à sept lieues en arrière, un champ de bataille excellent pour la défensive, et d’où les Turcs ne pourront jamais nous déloger. Là, nous attendrons les renforts. Notre infériorité actuelle ne tient qu’à la surprise et à une mobilisation un peu lente. Mais l’Autriche-Hongrie est un réservoir d’hommes bien plus puissant que la Turquie. Nous devons finalement avoir la supériorité du nombre…

— Et si nous sommes attaqués pendant la retraite ?

— Si la retraite est bien conçue et bien conduite, l’ennemi pourra tout au plus nous harceler, et en courant lui-même de grands périls !