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Page:Rosny aîné - La Mort de la Terre - Contes, Plon, 1912.djvu/345

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LA MARCHANDE DE FLEURS

— Et combien vous faudrait-il ? demandai-je.

— Ben ! huit à dix francs… Avec ça, je vous garantis que je remonterais sur l’eau.

Je me sentis en quelque sorte obligé de lui offrir ce dérisoire pécule, et puis, dix francs de plus ou de moins… je n’en étais pas moins perdu.

— Voyons, dis-je, faites-moi un plaisir… laissez-moi vous prêter cette petite somme.

Elle me darda un regard prompt et pénétrant.

— C’est pour rire que monsieur dit ça ?

Et, comme je souriais doucement, elle eut un élan de joie :

— Ben ! j’accepte, s’exclama-t-elle. Y me semble que ça me portera bonheur. Mais, par exemple, faut que vous me donniez votre adresse, car, pour ce qui est de prendre une aumône, c’est pas mon genre : je me ferais plutôt couper un doigt !

Mon adresse ! Je ne la connaissais pas plus qu’elle-même.

— Je ne vis plus à Paris, répliquai-je, mais si vous voulez, je vous rencontrerai un de ces jours !

— Ça va, reprit-elle sans malice. Ben, samedi, le soir… je crois que je serai en ordre.

— Alors, ici même, à six heures.

Je vécus jusqu’au samedi dans un petit meublé et j’essayai du régime des pauvres gens. Il me parut épouvantable. Je faisais des rêves de suicide, mais au fond j’avais l’amour de la vie, il me semblait horriblement triste de l’abandonner alors que tant de visions brillantes peuplaient ma cervelle…