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CONTES. — DEUXIÈME SÉRIE

Le samedi, après une journée d’ignominieuse tristesse, je me rendis aux Halles, avec je ne sais quelle curiosité vague. La femme m’attendait déjà. La détresse avait quitté son visage ; une confiance énergique luisait dans ses yeux gris :

— Vous m’avez porté bonheur ! fit-elle tout de suite. Toute la mécanique est remise en route.

Vous ne sauriez croire combien ces paroles m’impressionnèrent. Il y avait une sorte d’admiration dans le regard que je jetai sur l’humble femme : combien elle était plus forte, combien mieux armée que moi pour les batailles de la vie !…

J’écoutai avidement le récit qu’elle me fit de ses aventures, depuis la nuit de notre rencontre. Ce fut une extraordinaire leçon de choses. Je conçus tout à coup l’inanité et la lâcheté de mes craintes. Le goût de la lutte chauffa mon âme ; ma jeunesse bondit, pleine de foi et d’espérance ; la vanité de ma caste tomba comme une guenille. Et j’eus la sagesse de confier mon infortune à la marchande de fleurs et de demander son avis. Stupéfaite d’abord, elle entra vite, avec l’admirable faculté d’adaptation des créatures primitives, dans la réalité simple et profonde de mon destin :

— Ah bien, fit-elle enfin en secouant la tête… et comme ça vous n’avez plus rien… plus rien du tout, mon pauv’ monsieur ?

— J’ai cette bague, répondis-je. Et c’est toute ma fortune.

Elle regarda la bague avec respect :