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LA MARCHANDE DE FLEURS

— On en donnerait sûrement quatre ou cinq cents francs au clou, remarqua-t-elle… Ah ! si j’avais quatre cents francs…

Et, brusquement, me dardant dans les yeux son regard de courage et de franchise :

— Ben, écoutez, reprit-elle, vous ne savez rien faire, s’pas ? Va falloir tout de même mettre la bague chez ma tante. Et avant quelques semaines vous aurez bouffé la galette… Alors, savez-vous quoi ? Mettez-vous avec moi dans les fleurs… On marchera en gros, on tâchera de gagner des mille et des mille… Moi, je sens qu’on va réussir. Et même si on ne réussissait pas, vous aureriez appris à vivre, vous vous tireriez des pattes. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Je tirai la bague de mon doigt, je la passai au doigt de la femme et je dis :

— Voilà ce que j’en pense !

Elle eut un rire, le rire joyeux du peuple, où sonne la jeunesse éternelle, et cria :

— Voulez-vous parier ? On fera fortune.

Elle ne se trompait point. « J’appris les fleurs », nous eûmes une boutique avec un mauvais logement, nous achetâmes des cargaisons que nous revendîmes à des détaillants, et, dès la première année, nous avions « les mille » qui devaient nous permettre d’étendre nos affaires. J’étais heureux, replongé dans l’aventure réelle des hommes, je me battais contre le hasard et les circonstances avec une volupté de conquistador.