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CONTES. — DEUXIÈME SÉRIE

une petite rouille. Le soleil jouait à cligne-musette avec un gros nuage vieil argent, lorsque je parvins aux herbages de Montsaur. On y élevait des bœufs, des vaches et des chevaux, dont je voyais pâturer plusieurs douzaines. Près du ruisseau, je vis aussi le taureau noir, assez pareil au bœuf Apis avec sa tache blanche sur le front. Il n’avait pas bonne réputation, étant sujet à des rages brusques ; plusieurs fois, on avait parlé de s’en défaire. On le gardait pourtant, à cause de sa beauté et de sa force. Mais, outre la clôture, une bonne corde le retenait. Je m’arrêtai pour le contempler, car il m’intéressait, justement parce qu’il passait pour terrible.

Ce jour-là, il était de fort mauvaise humeur. Au lieu de paître tranquillement l’herbe savoureuse, il s’interrompait d’un air agacé, aspirait l’air humide et poussait des beuglements furibonds. Quand il m’aperçut, — peut-être à cause d’une grande fleur rouge que je portais à mon chapeau, — il piétina le sol et ses yeux bleu-noir flambèrent. Puis, d’un élan furieux, il chargea. Quoiqu’il fût attaché et que, par surcroît, la clôture me mît à l’abri, je sentis un frisson froid sur la nuque. La corde se tendit, la bête eut un long halètement… Je vis qu’elle était libre ! Je n’attendis pas la suite des événements, je m’enfuis à toute allure. Au reste, ma peur demeurait incomplète : je comptais sur la clôture… Après quelques minutes de course, je me retournai. Cette fois, ce fut la grande terreur