Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/100

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Quoique le gosse soit habitué à ses farces, il a eu une surprise, il a fait un faux pas, il est tombé avec la bouteille qui s’est écrabouillée et l’a coupé comme un couteau…

Elle s’interrompit pour embrasser la joue d’Antoine et la main de Christine.

— Tout de suite, le sang s’est mis à couler… oh ! ce qu’il y en avait… un abattoir ! Le cœur me déraillait… pas plus de voix qu’une souris… j’étais si abrutie que je l’aurais bien laissé mourir lorsque j’ai pensé à Mlle Deslandes. Heureusement qu’elle était rentrée. À peine j’ai eu toqué à sa porte, elle était là. C’est pour dire que ce noiraud a fait tout le mal… Non ! pourtant, je ne suis pas juste : c’est le vinaigre. Sans le vinaigre, il n’y avait rien. Et le vinaigre, y a pas à dire, c’est moi. Une femme qui a du bon sens n’envoie pas un gosse avec des bouteilles !

Ainsi la vieille Antoinette dégageait la morale des circonstances. Elle donna une caresse au geai à qui elle se reprochait d’avoir, dans son trouble, allongé un coup de torchon. Pour lui, cet incident avait disparu dans le pays des ombres. Il reçut la caresse en s’ébrouant et ricana :

Si vous avez des puces,
Grattez-vous ! Grattez-vous !

Les choses sauvages s’éloignaient ; Antoinette retrouvait le clair refuge où elle entretenait l’harmonie et le bien-être. Prête à retourner dans le laboratoire des potages, des sauces et des entremets, elle crut devoir répéter :

— C’est un péché de faire porter des bouteilles par un enfant !

Comme il était trop tard pour le confier à la casserole, elle mit le veau dans la rôtissoire.

Christine s’était levée. Un rai de soleil traversait