Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/106

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Il s’arrêtait au café des Enfants de la Rochelle, chez Bihourd ; il consommait des sirops, rarement de la bière ou quelque alcool léger.

Dès six heures et demie, Isidore Pouraille y survenait avec Jacquin dit l’Homard et Antoine Bardoufle, individu plus trapu qu’un ours des cavernes. Un personnage extraordinairement frileux occupait une encoignure. Enveloppé d’une houppelande, il grelottait, les yeux couleur d’eau de savon, énormes et creux, les mains blettes. Un vieil homme furibond y passait le quart de sa vie, assis près des carreaux, par où il jetait des regards de bête captive : c’était le père Cramaux, dit Cul-de-Singe, qui essayait de placer de la moutarde, des graines, de la bière en canettes ou en tonnelets. Il visitait, d’un air acrimonieux, une trentaine de logis dans sa journée, et tirait de là une pitance grossière.


Le cabaret du sieur Bihourd attirait aussi des maçons, des peintres en bâtiments, des charpentiers ; le père Meulière y apportait une voix de tambour défoncé ; les deux fils Bossange, Émile Pouraille, le petit Meulière y faisait des apparitions craintives ; le samedi soir se montraient les filles et les femmes, pour veiller sur le salaire ou prendre part à sa dislocation.

Le père Bihourd occupait le comptoir avec la dame Bihourd. C’était un homme torpide. Il tournait vers les êtres le regard d’un veau gras où les sensations flottaient, parcimonieuses. Trois éventails de crin couronnaient sa tête : ils laissaient une île sur l’occiput ; ses joues longues semblaient couvertes de maroquin ; il développait un nez en bec de cigne, à la pulpe oléagineuse. Cet homme éteint connaissait son intérêt ; il n’oubliait rien de ce qui rend un cabaret confortable, savait discerner le bon et le mauvais payeur et apaiser les ménagères.

Sa femme déployait une hure jaunâtre, sous une