Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/123

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phaient ses joues ; une de ses oreilles avait été réduite de moitié dans une bagarre ; le volume de son nez s’était accru au contact répété des poings.

Dutilleul vivait seul, dans deux chambrettes basses. Il avait amoncelé des livres et des brochures sur le plancher et sur les meubles ; il lisait sauvagement, avec un sens ardent de l’imprimerie. Et dans la lueur de sa lampe Pigeon, il brandissait les volumes avec des cris d’adoration ou des injures abjectes. À la longue, il s’était instruit. Des notions nombreuses s’inscrivaient dans sa cervelle, il construisait correctement ses phrases, il usait d’une politesse aussi impétueuse que sa colère, son coup de chapeau tombait jusqu’aux genoux, son salut le courbait ainsi qu’une colique de plomb ; il prenait en grippe ceux qui lui rendaient mal ses politesses. Il n’était pas malheureux, sachant, de source sûre, que la Justice allait venir, mais il souffrait un peu de ne pas rencontrer l’Homme. Il crut à Picquart, à Zola, à Jaurès et même au père Combes : ils le déçurent, sans qu’il pût énoncer ses raisons aux autres ni à lui-même. D’ailleurs, il n’avait pu les approcher d’assez près pour les assurer de sa vigilance ; il lui fallait le contact, la poignée de main, les cris unanimes.

Parfois des meneurs de faubourg le séduisirent ; il y eut Faglin, un démoc-soc, selon le vieil évangile, dont les yeux apoplectiques et les rauquements de bison parurent pleins d’une loyauté délicieuse. Lorsque Faglin se présenta à la députation, Dutilleul alla offrir de se faire casser la gueule. Il y eut une campagne joyeuse et convulsive ; Faglin échoua et lâcha ses amis « comme des pets ».

Il y eut Rostenverre qui voulait mettre à sac l’œuvre du Bon Pasteur : il fila avec la caisse d’un comité, après avoir emprunté trente-cinq francs à Dutilleul. Il y eut Carbon, Permet, Bigard dit Bistro,