Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/124

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Fromenteau, qui propagandèrent dans les cabarets ou posèrent de vagues candidatures. Tous lâchèrent l’arrondissement et Dutilleul ; il les traitait de « pus de porc, de vomissures d’alligator, de morves de tapirs », et les menaçait de l’estrapade, du four à chaux ou du pal. Et il continuait à attendre l’Homme.


Léonard Taupin, terrassier, vivait avec sa mère, vieille blanchisseuse du second empire. Sa tête produisait une laine noire qui sentait le suint, et sur cette tête, dure comme du porphyre, il cassait des noix, brisait des gourdins, fendait des planches, rompait des cordes. Ses yeux ronds exprimaient l’allégresse et la candeur. Il ne connaissait guère le passé, ignorait l’avenir, frétillait dans le présent comme un chien joyeux et commençait à trouver les choses bonnes dès le petit matin, lorsque la vieille lui servait une tasse de café et des tartines de beurre. Il aimait le soleil, raffolait du vent, s’amusait de la pluie, et si parfois le travail l’ennuyait, le plus souvent il prenait de l’orgueil à creuser, à fouir, à donner du pic avec puissance et dextérité. Comme il était de taille basse, la force lui était plus chère. Toutefois, il observait la règle et la mesure, qui sont de ne pas trop abattre de besogne, car l’ouvrier ne doit pas donner aux singes plus que ne l’exige la sagesse : ceux qui s’acharnent sont des fripouilles et des traîtres ; on s’use, on use les autres et on dégrade le travail. Aussi la journée de Taupin était pleine d’aimables intermèdes. Chacun à son tour, on regardait agir le prochain ; ou bien on feignait de discuter, ou bien encore on donnait un conseil, ou les outils demandaient un petit examen.

Léonard, homme de cabaret, passait ses soirées à proximité du zinc, dans l’aimable fumet des alcools, des pipes et des cigarettes. Il y cuisait doucement dans son jus, il ne rêvait rien de plus sédui-