Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/125

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sant que le comptoir argentin, la furibonde incandescence des globes, les bocaux et les bouteilles semblables à des escarboucles, des émeraudes, des topazes, des grenats.

Les êtres y passent comme au cinématographe, les paroles ricochent, emportant une miette de destinée dans leurs ondes éphémères : il y a des effusions subites et de brusques colères ; les manilleurs, vissés dans leur encoignure, symbolisent ce qu’il y a de durable et de profond dans l’agitation des hommes.

Le plus souvent Taupin gardait le silence ; il buvait un petit vin blanc, à douze sous le litre, que le père Bihourd tirait de la Charente, et il n’en consommait jamais plus de trois chopines. Parfois, il consentait à une partie de cartes, ou bien il tournait l’espiègle Zanzibar ; il lui arrivait aussi de donner son opinion : ignorant l’art de la donner avec calme, il gueulait, il tapait sur ses cuisses, sur son sternum ou sur le zinc, ses joues flambaient, sa redoutable tête esquissait le geste d’enfoncer les ventres, mais c’était de la mimique ; « il ne connaissait pas sa force et avait peur de faire un trou dans les boyaux ».


La famille Bossange vivait dans une maison basse, adossée à un tertre, et suivie d’un terrain vague. Cette maison était vieille, assez vaste et inconfortable. Le propriétaire, depuis de longues années, attendait une expropriation profitable et louait à bas prix, pourvu qu’on n’exigeât aucune réparation. On le voyait parfois rôder dans le terrain vague, secouant la tête avec dépit.

Les Bossange occupaient l’étage et les Perregault occupaient le rez-de-chaussée. Ces deux familles se trouvaient unies par les femmes : Mme Bossange et Mme Perregault étaient sœurs. Elles se passaient alternativement la grand’mère Bourgogne,