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Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/143

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ma femme qui ne peut pas ! Elle ne sent rien ; c’est une pierre, un glaçon pointu. Et mon oncle n’est pas mort dans un hospice, il est mort chez un pharmacien. Mon père était un honnête homme… il n’a jamais cassé de cailloux… il inspectait ceux qui en cassent. Puis, je ne pourris pas le linge… et si vous voulez sentir mon haleine, la voilà… Celui qui dira qu’elle peut faire tourner le lait est un cochon !

Quand il grognait, il regardait très loin, à travers la devanture, il n’entendait ni ne voyait les gens rire, mais dès que sa fureur s’apaisait un peu, il les entendait et les voyait ; alors son âme s’emplissait de honte. Il buvait cette honte avec les canettes. Rougemont entra aux Enfants de la Rochelle. Il alla s’asseoir en face de Gourjat et s’enquit avec intérêt :

— Vous avez l’air triste, camarade ?

Hippolyte, levant les paupières, vit ce visage sincère et ne résista point :

— Ah ! si je suis triste… c’est rien de le dire ! J’ai des embêtements qui ne finiront que dans mon cercueil.

Il jeta au hasard sa peine. François posa les questions utiles, si bien que Gourjat trouvait mieux ses mots et classait ses souvenirs. Quand il eut longtemps parlé, le meneur déclara :

— Il n’y a pas de pires maux ! Je vous plains sincèrement.

Puis, voyant que l’heure était proche où les compagnons se presseraient dans la salle, il ajouta :

— Si vous le voulez bien, nous ferons une promenade.

Cette proposition toucha Gourjat jusqu’aux larmes.

François discourut à son tour ; il entraînait Hippolyte hors des fortifications, sur la route de Gentilly, où il montrait, en passant, la misère humaine :

— On se console, disait-il, en s’occupant des