Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/164

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me mets à sa place et à la place du singe. Je ferais probablement comme eux.

Ces paroles ne laissaient pas d’embarrasser le meneur.

— Il ne s’agit pas de l’homme, déclara-t-il. Il s’agit de la discipline révolutionnaire. Qu’est-ce qu’on lui demande ? D’adhérer à un syndicat… Pourquoi s’y refuse-t-il ? Par orgueil de caste.

— Bah ! qué que ça fait ? Il est par terre.

— Il est par terre, oui. Mais est-il plus malheureux que des milliers d’ouvriers sans travail ? Vous avez l’air de le plaindre davantage parce qu’il a été un exploiteur. C’est un sentiment déraisonnable et dangereux. Est-ce que vous plaindriez un homme ruiné qui vous aurait chipé vos économies ? Eh bien, au fond, c’est la même chose. Glachant a vécu des efforts de l’ouvrier ; il s’est payé, aux dépens de vos frères, du luxe et des plaisirs qu’aucun de vous n’a jamais connus. La belle affaire qu’il soit revenu à votre niveau ! Il n’en a pas moins été plus heureux que vous pendant la plus grande partie de son existence. Malgré ça, personne ne songe à lui faire refuser de l’ouvrage, vous êtes tous prêts à le garder généreusement parmi vous. Vous ne lui demandez qu’une seule chose : adhérer à la fraternité syndicale. Il refuse. Tant pis pour lui. Il n’avait qu’à ne pas venir se fourrer dans un atelier où un contrat fixe les conditions du travail.

— C’est une exception !

— Il n’y a rien au monde d’aussi dangereux que les exceptions. C’est la porte ouverte à tous les abus. Elles rongent les règles et finissent par devenir elles-mêmes des règles. D’ailleurs, je le répète, cet individu refuse de faire partie d’un syndicat, parce qu’il a été patron, parce qu’il se considère comme un personnage d’une espèce supérieure à la vôtre, un ci-devant, quoi ! Camarades, Paris est plein de chômeurs, de malheureux qui sont vos