Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/209

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Elle parlait, charmante et presque tendre. Son âpreté s’était alanguie, une harmonie rythmait sa voix et nuançait le feu de ses grandes prunelles. Et sa joue délicate appuyée sur la main, avec l’immense chevelure embrasée et flexible, elle semblait le but de ce bonheur qu’elle voyait si hérissé et si lourd de soucis.

Il répondit avec un battement de cœur :

— C’est la vision d’une lutte acharnée ! Vous voyez la vie des individus et des masses comme un torrent. Tant de fièvre n’est pas utile au développement de l’humanité, ou du moins la fièvre peut devenir exceptionnelle. Au temps où j’étudiais, je n’ai pas trouvé qu’on gagnât au surmenage. Je crois plutôt que c’est une sauvagerie intellectuelle. L’ère d’une humanité heureuse, maîtresse, ou à peu près, des forces qui l’environnent, pratiquant l’entr’aide plutôt que la concurrence, attentive à la santé générale, goûtant les joies bienveillantes au lieu des victoires cruelles, travaillant avec modération mais n’admettant aucun oisif, en dehors des enfants, des vieillards et des infirmes, vraiment je me demande pourquoi elle serait impossible ?

— Elle ne serait pas heureuse, elle serait insipide, faible, veule, assoupie. Il faut de la fièvre, il faut du surmenage. Si vous étiez un inventeur, vous sauriez bien qu’on n’invente pas sans crises aiguës, sans acharnement, sans préoccupations harassantes ! Toute société qui se développe fortement est semblable à un inventeur. Elle a besoin d’activités hardies, opiniâtres, dangereuses même. Dès qu’elle tend au repos, elle s’arrête et décline. D’autres prennent sa place qui ne comptent pas leur effort. Et vous vous êtes trompé au temps où vous faisiez vos études. Si vous aviez, intelligent et robuste comme vous l’êtes, consenti à des périodes de surmenage, vous seriez un savant. Mais ce n’était pas votre vocation. Vous étiez fait pour prêcher les