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XI


La petite lampe à niveau rougeoyait dans l’aube, un silence terreux pesait sur les vitres, et le jour qui allait naître semblait un jour ruineux, cacochyme et pourri. L’heure humide rappelait à Marcel Deslandes un voyage fait en automne, parmi des mares qui sentaient la grenouille, la vase et la fièvre. Depuis des heures, il ne pouvait chasser l’image ni la voix de François Rougemont ; sa peau était comme souillée d’humiliation et de jalousie. Recru de fatigue, chaque fois qu’il tentait de se mettre au lit, la colère l’en chassait. Le passé et l’avenir avaient disparu ; il ne demeurait qu’un rival abhorré dont la seule existence empoisonnait l’univers. Et les efforts que faisait le mécanicien pour détruire l’obsession la rendaient plus massive ; rien n’aurait pu le calmer que la mort du propagandiste.

Ce n’était pas la défaite même qui l’exaspérait. Lorsque la foule l’interrompait de hurlements, lorsqu’elle remplaçait les paroles par des coups de poing ou des coups de trique, le mépris et le dégoût consolaient Deslandes. Seule l’intervention du rival lui avait été intolérable. Il revoyait continuellement l’arrivée de Rougemont en pleine bagarre, il entendait cette voix qui ressaisissait les âmes et domptait les colères, il sentait descendre sur lui une protection qui l’affolait de haine. Ah ! qu’il eût préféré des coups de matraque sur le crâne ou le fer d’un couteau dans la poitrine ! Il s’exaspérait plus