Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/277

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Mais pourquoi n’arriverait-on pas à lui faire une autre croyance ?

— Tu y as pensé ? clama-t-il.

— J’y ai quelquefois pensé ! Pourquoi pas ? Je répète que ce n’est pas un méchant homme. C’est même une bonne créature, véhémente, enthousiaste, qui convainc les autres d’autant mieux qu’elle se convainc elle-même. Tu te trompes en détestant François Rougemont ; il n’est pas de tes ennemis ! Tes ennemis, ce sont les menteurs, les paresseux, les lâches… Lui, qui sait, n’est pas inutile.

— Il est détestable ! cria sauvagement Deslandes. Il est doué de ce genre d’éloquence qui est le pire mal de notre race… qui nous pourrit… qui remplace l’action du travail par l’action de la rue, qui met le sentiment à la place de l’effort et qui tue l’expérience par la théorie. Je le déteste plus encore s’il est sincère.

Elle baissa sa tête lumineuse. Des rêves coururent en elle, au large de sa pensée, des choses confuses dont elle n’avait pas soupçonné, ou guère, l’existence. Et elle n’estimait pas la haine de son frère.

— Tu vois ! fit-il d’une voix sourde. Toi aussi, tu l’as écouté.

— Oui, murmura-t-elle avec mélancolie. Je l’ai écouté, sans indulgence, mais non sans sympathie. Si ses doctrines me froissent et me révoltent, il serait injuste de ne pas accorder que l’homme est estimable. Et c’est aussi une nature saine…

Ses yeux se relevèrent. La fumée avait disparu sur leurs feux transparents.

— Je ne dois pas te cacher, continua-t-elle, que j’ai trouvé hier son action généreuse et que je lui en ai été reconnaissante.

Il saisit sa poitrine à pleines mains ; ses ongles s’enfonçaient dans la veste.

— Du cabotinage ! ricana-t-il. Ah ! je n’aurais pas cru qu’une fille de ton sens s’y laisserait prendre.