Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/279

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— Tu m’as fait du bien ! dit-il en se levant. Je ne sais pas si j’éviterai les crises, mais je fuirai du moins leurs causes.


Ils sortirent ensemble, dans le matin frais. L’infatigable nature tissait des herbes et tramait des feuilles aux terrains vagues ; l’illusion flottait avec les fils de la vierge ; des rêves sans nombre agitaient les hommes.


Deux jours plus tard, Christine rencontra le meneur chez les Garrigues. Il était pâle, un peu de fièvre verdissait ses prunelles. Quand il entendit le frisson des jupes, quand la torche des cheveux brilla près de la vieille tête déplumée d’Antoinette, son cœur se leva d’un bond, puis s’abattit comme un bloc. Depuis l’avant-veille, il vivait dans ces transes d’animal poursuivi qui accompagnent le grand amour. Il se cachait au coin des rues pour voir passer Christine ; sur le palier des Garrigues, il s’arrêtait, il aspirait l’air, il croyait percevoir une invisible présence. Lorsqu’il essayait de lutter, il n’y gagnait qu’un surcroît de souffrances, et sans profit : sa volonté se tournait contre elle-même.


Christine lui tendit la main en disant :

— Vous avez été brave et généreux ; je vous remercie.

— Je n’ai été ni brave ni généreux, répondit-il d’une voix tremblante. Comment aurais-je pu agir autrement ?

— Vous auriez pu laisser faire et laisser passer, comme le libre échangiste ! répondit-elle en souriant. Vos partisans avaient manifestement l’avantage et plus d’un homme politique s’en serait lavé les mains. Plus d’un surtout aurait pu craindre une attaque personnelle, car enfin, les nôtres vous attribuaient la responsabilité de la bagarre.