Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/31

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— Je ne suis pas épistolier ! fit-il en riant.

Il devint grave, ses yeux se dilatèrent ; ce qui habita son visage fut violent, exalté, presque formidable. Un animal de lutte jaillissait des profondeurs obscures de l’être :

— Nous sommes au temps où l’on commence à comprendre, reprit-il d’une voix creuse. Auparavant, il y avait de la sentimentalité et des rêves. Aujourd’hui, voici venir la réalité. Sans doute, ils sont bien enfants encore, ils doivent être bercés d’une musique, mais ils se méfient du providentiel et savent que ce n’est pas pendant une heure, un jour, une année qu’il faut être révolutionnaire, mais pendant toutes les heures, tous les jours, toutes les années. Cette idée simple, le peuple ne l’avait jamais admise. Il a toujours attendu une date solennelle, une bataille magnifique ; ensuite, il n’y aurait plus qu’à tendre sa gamelle : le bonheur coulerait comme l’eau d’une fontaine. De même a-t-il cru à une vaste bonté qui tomberait d’en haut, comme le printemps du soleil, et qui arrangerait les choses. Et c’est énorme d’avoir vissé la conviction — ah ! bien imparfaite encore, bien branlante ! — que la révolution doit être en nous comme le maître d’école dans sa classe, que le bien et le mal ne peuvent naître que de notre ferme vouloir. Plus encore que l’année dernière, j’ai eu le sentiment que le peuple est en route.

Il étendit les bras, il parut étreindre l’étendue :

— Oui, nous mettons au-dessus des formules de science et de philosophie la nécessité de la lutte incessante : l’action crée la pensée. Dans l’espèce, le travailleur tendra sans répit au mieux-être et au renversement d’une société ennemie : les misérables sont pris dans une série de pièges ; il faut qu’ils les détruisent l’un après l’autre…

Ses hôtes l’écoutaient, avides. Les Garrigues étaient les premiers qu’il avait charmés par sa voix