Aller au contenu

Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sincère, par l’influence du rythme et d’une volonté mystique. Après la mort de son père et de sa mère, la tante Antoinette le traita comme son propre enfant. Impétueux, opiniâtre, combatif, il rachetait la violence de sa nature par des frénésies de tendresse et une pitié convulsive.

Dès qu’il voyait souffrir la tante ou le cousin Charles — ils étaient sujets à des névralgies — il rôdait autour d’eux avec des allures de chien-loup ; il semblait flairer la douleur ; longtemps, il vit en elle une chose vivante qu’il souhaitait pourchasser et combattre comme un serpent ou une panthère. Il l’apercevait partout. Mais cette hantise n’était pas déprimante. Elle donnait à l’enfant une force d’imagination singulière.

Devant la misère, devant le pauvre diable qu’on mène à l’hôpital, devant le hère qui se traîne, perclus de rhumatismes ou la jambe amputée, il s’exaltait, il rêvait la guérison universelle, l’intervention victorieuse de la science et de la pitié humaines. Un jour la vie serait bonne ! Il en eut la certitude lorsque des gazettes, des brochures, des revues et des livres lui révélèrent le socialisme.

Le problème de l’homme exploité par l’homme le tortura — formidable et incompréhensible. Que la civilisation ingénieuse ait abouti à prendre la majorité des individus aux filets d’une minorité ! Que l’homme même fort, même intelligent, s’épuise pour des médiocres et des imbéciles ! Qu’en somme, une bourgeoisie faite de créatures quelconques tienne en laisse le peuple par la vertu d’une valeur fictive, et que cette valeur puisse appartenir à un idiot, à un fou, à un monstre, à un nouveau-né !

Tout de suite il reconnut la vérité. Elle échauffa chacune de ses fibres ; elle eut la force des croyances neuves, d’autant plus conquérantes que leur formation est moins précise : tout en elle évolue ; leurs dogmes obscurs sont une source de métamorphoses ;